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ACTUALITES / Santé

Construire ensemble

Le CMPP Claude Chassagny accueille des adolescents de 12 à 21 ans présentant des troubles du développement psychique qui les mettent en difficulté dans leur milieu scolaire, mais aussi familial et dans leur entourage social.

Thérapeutes, éducateurs spécialisés et animateurs accompagnent donc les jeunes pour leur permettre de se sentir mieux, les aider à entrer en relation avec les autres et, finalement, leur permettre le maintien et l’intégration dans leur cadre de vie quotidien, en particulier à l’école.
Pour animer le quotidien de Chassagny, il y a le Conseil de Vie Sociale. Organisé 3 fois par an, le CVS réunit la médecin-directrice, le chef de service et l’ensemble des adolescents accompagnés au sein du CMPP représentés par leurs 4 délégués titulaires et suppléants. Une occasion pour ces jeunes de prendre la parole, animer la vie de l’établissement et s’initier à la vie citoyenne.

Dans la grande salle de Chassagny, les jeunes rentrent et s’installent, ils sont une vingtaine en ce vendredi midi. Autour d’eux, on trouve des professionnels, qui sont ici pour écouter. En face, Lucie Versnaeyen, médecin-directrice et Nelson Heyte, chef de service, ouvrent la séance en donnant la parole aux deux nouvelles déléguées. Cassandra, 14 ans, et Florentine, 17 ans, fraîchement élues, déroulent l’ordre du jour construit auparavant par l’ensemble des jeunes du CMPP.

Demande de Wi-Fi, départ en retraite d’une intervenante, les sujets et les annonces s’enchaînent. Puis une question se pose sur un sujet au travail depuis quelques semaines : la constitution d’une exposition permanente des créations issues des ateliers.
« En rangeant, on a trouvé des masques fabriqués par ceux d’avant, est-ce qu’on pourrait les exposer ? Parce qu’ils sont beaux. »

Ce n’est pas la première fois que les jeunes de Chassagny expriment leur souhait de mettre en valeur leurs productions. L’idée de monter un espace d’exposition est au travail dans l’équipe : ce serait l’occasion pour les jeunes de s’emparer du sujet, prendre possession des lieux et construire quelque chose ensemble.

Pour la directrice, c’est l’occasion d’entamer la discussion : « Cette exposition, c’est la première fois qu’on en parle dans un cadre officiel comme le CVS. Je note qu’il y a un souci de garder trace de l’histoire de celles et ceux qui étaient là avant vous. Mais il y a aussi vos œuvres, ce que vous produisez en atelier. Est-ce que vous seriez d’accord pour les exposer ? »

Quelques doigts se lèvent, timides :
« Moi je veux bien !
– Moi, j’ai participé à l’atelier argile pendant les vacances, ce serait bien qu’on montre aux autres pour qu’ils voient à quoi ça ressemble.
– Moi je suis arrivée aujourd’hui donc je n’ai rien fait mais oui sur le principe.
– Euh…oui, je veux bien exposer les choses des autres mais pas les miennes. » « Allez, c’est bien ce que tu fais » encourage la déléguée, sans grand succès (pour le moment).

Le point suivant mérite d’être lu à voix haute : « Est-il possible d’acheter un squelette pour le déguiser et l’installer dans le foyer ? »
À Chassagny, aucune question n’est évacuée, toutes les remarques des jeunes sont prises en compte. Cette question vient de la boîte à questions installée dans le foyer, elle est anonyme. Pourquoi pas, mais pourquoi un squelette ? L’objectif de la directrice est de comprendre si cette demande est individuelle ou si elle émane d’une volonté collective et peut donc être pleinement prise en compte. Il faudra donc se repencher sur la question, revenir avec des points plus précis : combien ça coûte, qui s’occupe de l’habiller, de le changer ? Tout est support à la construction de projet pour travailler ensemble…

 

La dernière demande, ce sont des coussins à installer sur les canapés de la salle commune. Avec quels critères ? « Quelque chose de doux ! » « De coloré ». La décoration intérieure inspire.
L’ado arrivée aujourd’hui a une idée : « On pourrait les créer nous-mêmes ! » Cette dernière phrase provoque un peu la surprise d’un jeune, au bout de la rangée « Ouah, elle est là depuis 10 minutes et elle a déjà compris Chassagny ». Les coussins seront achetés par les professionnels, charge aux jeunes de faire les housses. Cassandra précisera plus tard : « J’aime bien l’idée de participer au bien-être de tout le monde ».

Le CVS terminé, les jeunes restent au foyer en attendant leurs ateliers, et c’est le débriefing : « J’aime bien cette réunion, on sent que notre avis est pris en compte. On peut s’exprimer, proposer des choses qui servent aux autres. Et puis il y a la directrice quand même, on ne la voit pas souvent ».

Et prendre la parole en public ? « Moi, ça me va, je parlais déjà à tout le monde, explique Florentine, même si au début je ne savais pas trop comment ça fonctionnait. Mais maintenant, j’essaye d’intégrer les nouveaux et puis je n’ai pas trop de problèmes pour parler aux adultes. Donc, je me suis dit qu’en étant déléguée, je pourrais bien porter la parole de tous les jeunes de Chassagny

Mais pour certains ados, c’est plus difficile. « Oui mais c’est surtout dehors ça ! Ici, on sait qu’on ne va pas se faire juger. On se comprend tous émotionnellement, on a beaucoup de points communs. Et puis on se croise souvent en ateliers, ça aide à se sentir bien. On essaye vraiment d’être bienveillants, c’est important. Et puis on n’a pas peur de se faire engueuler aussi

Et donc cette assemblée, est-ce que c’est un apprentissage dans la vie d’un citoyen ? Une vie dont Raphaël se sent un peu éloigné : « Un citoyen, pour moi, c’est quelqu’un qui va à l’école, qui se tait et qui fait ce qu’on lui dit. C’est quelqu’un qui est dans une case, qui est bien inséré dans la société parce qu’il suit ses règles. À priori, quand tu vas à Chassagny, c’est que tu n’es pas exactement dans l’idéal de ce qu’on attend d’un citoyen. Dès qu’on est un peu différent, c’est comme si on n’était plus tout à fait un citoyen à part entière. Alors, c’est vrai que venir ici, ça me fait du bien. Je ne me sens pas jugé. » Cassandra approuve : « Pour être un citoyen, il faut suivre les critères, entrer dans une case. Mais les règles sont trop strictes, dès que l’on sort du cadre, on est jugé. Il faudrait moins de jugement, plus d’ouverture d’esprit

Le temps s’écoule, il est l’heure de partir en atelier, le foyer se vide, rempli de projets : un futur atelier couture, un squelette déguisé et, bientôt, un espace pour exposer leurs créations. Le tout construit à partir de leurs paroles.

Témoignage :
Nelson Heyte, chef de service
« Le CVS participe à construire la vie de groupe. Pour des jeunes qui ne vont pratiquement plus à l’école, c’est important. Ici, ils font des demandes pour l’organisation de la vie quotidienne et c’est important pour la resocialisation. On écoute tout ce qu’ils disent et on considère avec beaucoup de sérieux tout ce qu’ils nous demandent, sans jugement. On leur fait comprendre que leur voix compte et cela participe à changer leur rapport à l’adulte. Mais on s’assure aussi que ces demandes sont bien des demandes conjointes et qui fédèrent : on leur rappelle sans cesse que le CVS a vocation à statuer ensemble sur le collectif, ses besoins et ses envies

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